Les organisations se transforment, le travail Ă©volue. Les risques professionnels aussi. Depuis une vingtaine dâannĂ©es, le stress et plus largement les risques psychosociaux (RPS) sont progressivement apparus comme des sujets majeurs de la vie au travail, dans les entreprises comme dans les administrations.
Les Ă©volutions rĂ©centes du monde du travail ont menĂ© Ă lâĂ©mergence d'une nouvelle classe de risques, les "risques psychosociaux" ou "RPS". A ce jour, cependant, il nâexiste pas de dĂ©finition lĂ©gale, le Code du Travail n'Ă©voquant que de lâobligation pour lâemployeur de protĂ©ger "la santĂ© physique et mentale des travailleurs" (art. L.4121-1 CTr.). Pour autant, dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2000, les services du ministĂšre du Travail ont dĂ©fini les RPS comme "recouvrant des risques professionnels dâorigine et de nature variĂ©es, qui mettent en jeu lâintĂ©gritĂ© physique et la santĂ© mentale des salariĂ©s et ont, par consĂ©quent, un impact sur le bon fonctionnement des entreprises. On les appelle «psycho-sociaux», car ils sont Ă lâinterface de lâindividu (le « psycho »), et de sa situation de travail : le contact avec les autres (encadrement, collĂšgues, clients, etc.), câest-Ă -dire le «social»".
La complexitĂ© de ces nouveaux risques est Ă©galement identifiĂ©e : aÌ la fois plurifactoriels (plusieurs types et niveaux de causesâŠ) et entraĂźnant des effets trĂšs variĂ©s selon les personnes. Ils sont aussi poreux, dans le sens oĂč ils peuvent mĂȘler les sphĂšres intime et professionnelle de la personne.
ProposĂ©e en 2011 Ă la suite de nombreux travaux dans diffĂ©rentes disciplines (psychologie, sociologie, Ă©pidĂ©miologie, ergonomie, etc..), la dĂ©finition quâa donnĂ©e le collĂšge dâexpertise sur le suivi des RPS mis en place par le ministre du Travail, communĂ©ment appelĂ© « rapport Gollac », fait aujourdâhui consensus :
« les risques pour la santeÌ mentale, physique et sociale, engendrĂ©s par les conditions dâemploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles dâinteragir avec le fonctionnement mental ».
Cette dĂ©finition est dâailleurs celle retenue par lâaccord sur la prĂ©vention des RPS dans la fonction publique le 22 octobre 2013. Elle est aussi Ă la base des documents produits par la DGAFP pour aider Ă la prĂ©vention dans le secteur public.
La DGAFP du MinistĂšre de la fonction publique prĂ©cise que « le terme RPS dĂ©signe un ensemble de phĂ©nomĂšnes affectant principalement la santĂ© mentale mais aussi physique des travailleurs, qui peuvent se manifester sous diverses formes : stress au travail, sentiment de mal-ĂȘtre ou de souffrance au travail, incivilitĂ©s, agressions physiques ou verbales, violences, etc ».
Dans le secteur public, la relation trĂšs frĂ©quente au public â public parfois en situation de prĂ©caritĂ© ou de dĂ©tresse- donne des caractĂ©ristiques spĂ©cifiques aux RPS. Il en va de mĂȘme pour la question du sens du travail, particuliĂšrement prĂ©gnante dans la relation des agents Ă leur activitĂ© professionnelle.
Enfin, lorsquâon Ă©tudie les risques psychosociaux dans la fonction publique, il est important de tenir compte de la proportion Ă©levĂ©e de femmes employĂ©es dans les administrations, compte tenu du fait quâelles sont statistiquement plus exposĂ©es Ă des violences et au harcĂšlement que leurs collĂšgues masculins.
Multiformes, les RPS ont nĂ©anmoins en commun des effets (« troubles » psychosociaux) qui peuvent ĂȘtre graves sur la santĂ©. Sur le plan psychologique et physique, ces risques sont de nature Ă favoriser des pathologies comme les dĂ©pressions, les troubles du sommeil, les troubles cardiovasculaires, les ulcĂšres, ou encore les maladies psychosomatiques. Le lien avec lâapparition de troubles musculo-squelettiques (TMS) a Ă©galement Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©. Dans des cas extrĂȘmes, ils peuvent conduire Ă des suicides.
Sur le plan social, ces troubles peuvent avoir pour consĂ©quences des tensions et conflits entre collĂšgues, des formes de dĂ©sengagement au travail et bien sur lâabsentĂ©isme. On note dâailleurs, ces derniĂšres annĂ©es, des niveaux dâabsentĂ©isme significatifs dans la fonction publique reliĂ©s Ă des questions de conditions de travail (cf. Ă©tude DREES pour la FPH, Ă©tude ADRH-GCT pour la FPT , et les extraits du rapport annuel de la fonction publique sur le thĂšme du temps et de conditions de travail et des absences)
Or, dans des activitĂ©s de service, la qualitĂ© du travail produit rĂ©sulte largement de lâengagement du travailleur, de sa capacitĂ© dâĂ©coute du client ou de lâusager, ou encore de sa capacitĂ© de sâadapter aux demandes diverses et de construire les rĂ©ponses adaptĂ©es. Constat Ă©videmment particuliĂšrement vrai dans les services publics oĂč les demandes des usagers Ă©voluent, se complexifient voire entraĂźnent des rapports tendus dans certains secteurs. Il a ainsi Ă©tĂ© montrĂ©, Ă lâhĂŽpital en particulier, que la qualitĂ© des soins Ă©tait largement liĂ©e Ă la qualitĂ© des conditions de travail des agents (cf. Ă©tude HAS). Il y a donc une relation Ă©troite entre qualitĂ© des conditions de travail et la qualitĂ© du service public rendu Ă lâusager.
Au niveau macro-Ă©conomique, le coĂ»t social du stress en France (dĂ©penses de soins, celles liĂ©es Ă lâabsentĂ©isme, aux cessations dâactivitĂ© et aux dĂ©cĂšs prĂ©maturĂ©s) a Ă©tĂ© estimĂ© en 2007 entre 2 et 3 milliards dâeuros (Ă©tude INRS et Arts et MĂ©tiers ParisTech).
MĂȘme sâil existe des caractĂ©ristiques individuelles qui vont influencer sur lâapparition des troubles psychosociaux, les RPS ont souvent des causes communes liĂ©es Ă lâorganisation du travail : charge de travail, manque de clartĂ© dans le partage des tĂąches, intensification du travail, organisation du travail, mode de management etc. Ils peuvent Ă©galement renvoyer Ă des pertes de repĂšres, Ă la difficultĂ© Ă trouver du sens au travail ou bien Ă des conflits de valeurs.
Là encore, le rapport Gollac fait référence, avec une liste de 6 grandes familles de facteurs de risque :
1 -Intensité et temps de travail (surcharge de travail, travail en horaire décalé, etc)
2 - Exigences Ă©motionnelles (contact avec la souffrance, peur, etc)
3 - Manque dâautonomie dans le travail (ne pas pouvoir interrompre son travail, devoir interrompre une tĂąche pour une autre, impossibilitĂ© dâanticiper, monotonie, etc)
4 - Mauvaise qualitĂ© des rapports sociaux au travail (mauvaises relations aux collĂšgues, Ă la hiĂ©rarchie, manque de reconnaissance, sentiment dâinjustice, absence de possibilitĂ©s de parcours professionnel, etc)
5 - Conflits de valeur (faire des choses que lâon dĂ©sapprouve, qualitĂ© empĂȘchĂ©e, etc)
6 - InsĂ©curitĂ© de la situation de travail (prĂ©caritĂ© de lâemploi, insĂ©curitĂ© liĂ©e Ă des changements permanents, Ă des rĂ©organisation, etc)
Une entrĂ©e par ces familles de facteurs est vraiment Ă privilĂ©gier lorsque lâon conduit un diagnostic des RPS dans une organisation publique. Ăvidemment, ils ne sont pas tous prĂ©sents en mĂȘme temps et câest lâanalyse fine, au cas par cas, qui permettra de dĂ©terminer quels facteurs dans ces six familles sont les plus en cause. Par ailleurs, ils peuvent se combiner, une surcharge de travail pouvant entraĂźner par exemple des tensions avec les collĂšgues et un sentiment de non-reconnaissance.
A lâinverse, certains facteurs peuvent devenir des facteurs de protection Ă soutenir et dĂ©velopper : des situations de tensions avec le public peuvent ĂȘtre attĂ©nuĂ©es par la qualitĂ© des relations entre collĂšgues de lâĂ©quipe de travail et le soutien de lâencadrement.
Câest donc, Ă chaque fois, une analyse trĂšs contextualisĂ©e quâil convient de faire pour comprendre les situations de travail et le ressenti des agents. Outre des analyses quantitatives qui peuvent ĂȘtre faites (ex. questionnaires sur les RPS), on voit quâune dĂ©marche RPS doit sâappuyer fortement sur une apprĂ©ciation qualitative basĂ©e sur lâanalyse de situations concrĂštes de travail et surtout la parole des agents.
Les RPS sont donc dĂ©finis comme des risques pour la santeÌ mentale, physique et sociale, engendrĂ©s par les conditions dâemploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles dâinteragir avec le fonctionnement mental. Cette dĂ©finition met en Ă©vidence la nĂ©cessiteÌ de relier deux registres dâaction habituellement distincts dans lâorganisation de la prĂ©vention des risques professionnels : dâune part, la santeÌ (mentale, physique et sociale) au niveau des effets ; dâautre part, les conditions dâemploi et les facteurs organisationnels et relationnels au niveau des causes.
Facteurs de risques principaux, les facteurs organisationnels et relationnels sont donc les leviers sur lesquels agir en prioritĂ© pour dĂ©velopper une prĂ©vention primaire des RPS. La prĂ©vention devient donc Ă©minemment plus complexe aÌ mettre en Ćuvre - et aussi aÌ Ă©valuer dans son efficacitĂ© â que sâil sâagissait uniquement dâamĂ©nagements techniques des postes de travail. Dâune part, parce quâelle ne relĂšve plus dâun seul champ dâexpertise et dâaction dĂ©fini (mĂ©decins, prĂ©venteurs, etc.), mais de lâensemble de la ligne hiĂ©rarchique et managĂ©riale (actions dans les domaines RH, management, organisation). Dâautre part, parce que les leviers dâaction ne sont pas directs, et leurs effets ne sont pas immĂ©diats : les effets spĂ©cifiques dâune action donnĂ©e sont souvent difficiles aÌ identifier - particuliĂšrement dans des contextes de changements organisationnels frĂ©quents et rapides, ce qui est le cas de la fonction publique ces derniĂšres annĂ©es.
La derniĂšre enquĂȘte « Conditions de travail - Risques psychosociaux » conduite en 2016 fait Ă©tat, au niveau de lâensemble des salariĂ©s en France, dâune stabilisation des contraintes de rythme de travail et dâune baisse de certaines contraintes psychosociales : charge mentale en diminution, horaires moins contraignants, soutien social fort et stabilisation de la demande Ă©motionnelle, recul des comportements hostiles. En revanche lâautonomie des salariĂ©s poursuit son recul. Les contraintes physiques sont globalement stabilisĂ©es Ă un niveau qui reste Ă©levĂ©.
Cette grande enquĂȘte nationale prend aussi en compte, depuis quelques annĂ©es, la fonction publique. On y constate les mĂȘmes grandes Ă©volutions : une certaine stabilisation des facteurs de risques, mais qui restent de tout de mĂȘme Ă un niveau Ă©levĂ©. A noter quelques spĂ©cificitĂ©s :